On observe ces derniers mois une multiplication des ruptures de médicaments. L’émergence de nouvelles approches autour du Big data ou de l’intelligence artificielle permettent une optimisation de la gestion des stocks et de lutter contre ces problèmes de ruptures. Décryptage.
Ruptures de Médicaments : une situation qui se dégrade et qui inquiète
D’après l’ANSM (l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament et des produits de santé), la situation des ruptures d’approvisionnement a atteint un seuil sans précédent. En 2018, 868 médicaments ont été signalés comme étant en tension d’approvisionnement ou en rupture de stock. Un chiffre multiplié par 20 en vingt ans ! Encore pire, ce chiffre ne concerne que les médicaments d’intérêt thérapeutique majeur ; ce qui laisse entrevoir une situation bien plus inquiétante sur l’ensemble des produits commercialisés.
Les médicaments anti-infectieux et les médicaments du système nerveux sont les plus concernés par les ruptures. D’après un sondage de l’institut BVA pour France ASSOS-santé réalisé en décembre 2018, la pénurie de médicaments est une expérience relativement commune chez les Français les plus malades.
1 Français sur 4 a déjà manqué d’un médicament ou d’un vaccin pour cause de pénurie, qu’il s’agisse d’un traitement pour lui-même ou pour une personne de son foyer.
La pénurie de médicament a un impact réel sur le traitement des Français qui en ont été victimes. 45% des Français ont vu leur traitement modifié suite à la pénurie de médicaments. Parmi eux, 21% des Français ont connu de l’anxiété et 14% ont fait face à une augmentation des symptômes.
Depuis 2012, le ministère de la santé a mis en place un dispositif de gestion des risques de rupture de stocks. Il impose notamment aux grossistes d’assurer l’approvisionnement régulier en stocks de médicaments et demande aux exploitants de prévenir l’ANSM en cas d’une prochaine rupture de stock. Expérimenté depuis 2013, le dispositif DP-Ruptures doit aussi permettre de favoriser le partage d’informations concernant le circuit des médicaments entre les laboratoires, les usines et les pharmacies.
De quoi parle-t-on ?
Il convient de différencier les différents types de ruptures :
Les ruptures de stock : elles correspondent à l’impossibilité de fabriquer ou d’exploiter un médicament. C’est l’incapacité pour un exploitant de livrer des médicaments à un grossiste-répartiteur, une pharmacie d’officine.
Les ruptures d’approvisionnement : elles correspondent à une rupture dans la chaîne d’approvisionnement ou de distribution des médicaments, rendant momentanément impossible leur délivrance aux patients. C’est lorsqu’une pharmacie d’officine est dans l’incapacité de dispenser un médicament à un patient dans un délai de 72 heures, après avoir effectué une demande d’approvisionnement auprès de deux entreprises exerçant une activité de distribution de médicaments.
Les ruptures dans la chaîne de distribution : elles correspondent quant à elles à un non approvisionnement d’une officine avec l’absence de rupture de stock répertoriée ou signalée.
Quelles sont les principales raisons des ruptures ?
Le LEEM (Les Entreprises du Médicaments) invoque deux raisons principales :
- L’explosion de la demande mondiale ; mettant en tension les besoins en matières premières (principes actifs et excipients) et les capacités de production.
- Une importante délocalisation de la production de l’Europe vers la Chine et l’Inde : 80 % des fabricants de substances actives des médicaments sont installés hors de l’UE : « près de 40 % des médicaments finis commercialisés dans l’UE ont été fabriqués dans un pays tiers et 80 % des fabricants de substances actives des médicaments sont installés hors de l’UE », selon le rapport du Sénat.
Pour autant, une proportion non négligeable des ruptures pourrait aussi être attribuée à la bonne gestion prévisionnelle des besoins et des ordres de production et/ou distribution associés. C’est sur cette proportion que la maitrise des données et l’usage de l’IA pourraient apporter un bénéfice important.
L’IA agirait principalement sur les ruptures d’approvisionnement et les ruptures de distribution.
D’autant plus que les laboratoires pharmaceutiques ont été convoqués à Matignon cette année ; le gouvernement a décidé de leur appliquer des sanctions pécuniaires en cas de négligence. En cas de rupture, l’entreprise pourra se voir appliquer une sanction pour chaque jour de rupture pouvant aller jusqu’à un maximum de 30 % du chiffre d’affaires journalier moyen réalisé en France, dans la limite de 10 % du chiffre d’affaires annuel ou 1 million d’euros.
Comment Datas et IA peuvent aider à anticiper et prédire les ruptures ?
Le Big data consiste à collecter, croiser et analyser un grand volume de données de provenance hétérogènes.
Dans le domaine de la pharmacie, la Big Data de base est particulièrement riche. Le système dispose de données exhaustives : sell In (achats), sell Out (sorties), données de consommation, données épidémiologiques, données sociodémographiques, données de transports, données météorologiques… toutes données qui peuvent influencer la demande et l’approvisionnement.
Déjà, au niveau de la gestion des stocks, le Big data intervient à plusieurs niveaux :
- Une meilleure gestion du réapprovisionnement et des stocks en appliquant le concept CPFR (Collaborative Planning, Forecasting, and Rplenishment) ou Gestion collaborative de la planification, de la prévision et des réapprovisionnements ), né de la grande distribution, pour partager entre fournisseurs, producteurs et distributeurs, des informations relatives aux prévisions de ventes et de planification.
- Une gestion de la livraison optimisée à partir des données issues de l’officine, de son groupement ou de l’open data (trafic routier, conditions météorologiques, mode de livraison…) permettant d’optimiser la Supply Chain et de rationaliser les coûts de transport.
- Une amélioration de l’efficacité opérationnelle : amélioration proactive de l’efficacité des chaînes d’approvisionnement avec un accès aux bonnes données et à l’ensemble des mouvements logistiques
- Une satisfaction accrue du service à la clientèle : les données peuvent aussi être analysées de manière prédictive afin de prédire les tendances saisonnières, les périodes de pic ou de creux des demandes des clients. On notera les données de veille sanitaires comme la surveillance des épidémies saisonnières (grippes, gastro-entérites, allergies,…)
L’intelligence artificielle pour une meilleure prédiction des stocks et approvisionnements en fonction des besoins
L’intelligence artificielle et le machine learning impactent de nombreux domaines du secteur médical, au niveau du diagnostic, du service aux patients ou de la chirurgie. L’intelligence artificielle est également de plus en plus utilisée pour la gestion officinale, pour automatiser un certain nombre de tâches administratives afin de simplifier le parcours du patient à l’officine, d’améliorer sa prise en charge ou d’optimiser les coûts.
La gestion des stocks est un exercice compliqué en officine en raison de la capacité de stockage limité ou de facteurs externes comme les épidémies ou conditions météorologiques. L’intelligence artificielle via l’analyse des données de l’officine, permet d’anticiper la demande, d’être proactif, d’éviter les erreurs et de bien appréhender sa capacité de stockage.
L’intelligence artificielle permet de combiner rapidement des données structurées issues des logiciels de gestion officinaux, des CRM ou outils de gestion de stocks avec des données publiques ou des données non structurées.
Les algorithmes traitent la totalité des données disponibles, comme les historiques de vente sur plusieurs années, les données de stock et de logistique. Avec l’analyse de ces données, il est possible de donner avec précision des prévisions de vente, et ainsi générer des propositions de commandes d’approvisionnement.
L’intelligence artificielle apporte différents avantages dans la gestion des stocks de l’officine :
- Une juste exploitation des qualités de l’homme et la machine : l’intelligence artificielle facilite les missions du gestionnaire de stock en réduisant les tâches opérationnelles récurrentes dont il a la responsabilité comme l’automatisation de la génération des commandes auprès des distributeurs ou répartiteurs et en dégageant plus de temps sur l’analyse des situations critiques.
- Une visibilité en temps réelle des stocks : l’IA permet de mieux connaître son stock en temps réelle pour une meilleure gestion des flux et commandes
- Une supervision et contrôle repensés : l’IA s’impose comme véritable outil de recommandation et d’aide à la décision via l’analyse de la volumétrie de données générées quotidiennement au sein de l’officine permettant d’anticiper les situations problématiques, d’alerter l’équipe officinale ou de préconiser des contrôles.
- L’identification et la poursuite de la meilleure stratégie : l’approche prévisionniste de l’IA permet de concevoir différents scénarios d’allocation de stock basés la combinaison des données analysées
L’exemple de Merck et Tracelink aux USA
Courant octobre 2019, le laboratoire Merck a annoncé tester la gestion de stock prédictive au cours de l’année 2020.
Merck affirme que ses prévisions de l’offre et de la demande sont exactes à environ 85 %. Mais il désire anticiper de manière plus fine ces informations grâce à une solution de la société américaine TraceLink, une plate-forme cloud capable « d’analyser en temps réel les données des diverses structures dans la chaîne d’approvisionnement de Merck, notamment les pharmacies, les hôpitaux et les distributeurs grossistes ».
Tracelink possède des informations provenant de plus de « 275 000 organisations dans le monde entier, incluant les hôpitaux, des pharmacies de détail, des grossistes et des fabricants de médicaments ; auxquels on peut imaginer l’apport de données contextuelles et environnementales »
Tracelink travaille sur un système de machine learning qui sera capable de prédire la demande d’un médicament pour éviter le surstock. Cette technologie sera testée pour la première fois au sein du pilote avec Merck.
En France, Apodis Pharma, une startup qui agit contre les ruptures
Apodis Pharma a développé une plateforme digitale qui synchronise en temps réel les données récoltées dans les officines françaises. Les algorithmes permettent alors de détecter les problèmes quelques minutes seulement après leur apparition.
Par exemple, pour les ruptures d’approvisionnement, Apodis Pharma permet aux pharmaciens de mettre à la disposition des laboratoires concernés les informations de stock, de ventes et de commandes de leurs produits. A la lumière de ces informations, les laboratoires s’organisent pour améliorer la situation.
Le Big data et l’intelligence artificielle peuvent s’avérer de véritables alliés pour les acteurs de santé dans la gestion des ruptures d’approvisionnement de médicament. Nous n’en sommes qu’au tout début de l’exploitation des datas de la distribution de médicaments.
Franck Le Meur
Président-Fondateur
Techtomed