Les évolutions technologiques apportent de nouvelles perspectives dans la prédiction des épidémies. Tour d’horizon des solutions e-santé émergentes.
Suivre les évolutions des épidémies, leurs propagations a toujours été une préoccupation des autorités de santé, professionnels de santé et autres acteurs. Depuis 1984, le Réseau Sentinelles surveille les principales épidémies en France avec un peu plus de 1400 médecins généralistes et pédiatres libéraux, volontaires, répartis sur le territoire métropolitain français.
Ce réseau de surveillance permet le recueil, l’analyse, la prévision et la redistribution en temps réel de données épidémiologiques issues de l’activité des médecins généralistes et pédiatres libéraux. Il collecte en continue des informations sur 10 indicateurs de santé (neuf maladies infectieuses et un indicateur non-infectieux). Chaque semaine, les médecins Sentinelles transmettent les données de leurs patients vus en consultation pour les indicateurs suivis permettant d’éditer des cartes d’évolution autour des surveillances en cours : acte suicidaire, coqueluche, diarrhée aiguë, maladie de Lyme, oreillons, syndromes grippaux, varicelle, zona. Cela ne constitue pas des modèles prédictifs précis mais permet de connaître l’évolution des épidémies de manière hebdomadaire et anticiper certaines recrudescences.
A noter que sur le sujet de la grippe, le service GrippeNet.fr implique des citoyens volontaires dans la surveillance de cette pathologie.
L’émergence de la e-santé et de toutes les nouvelles solutions technologiques associées apportent de nouvelles perspectives et opportunités dans la prédiction des épidémies.
La prédiction via les moteurs de recherches
Aujourd’hui les moteurs de recherche sur Internet sont très utilisés par les Français pour des recherches santé, notamment autour des maladies.
Dès 2008, des études ont montré que le nombre de recherches concernant la grippe sur les moteurs de recherche Google et Yahoo était fortement lié à la présence de l’épidémie (1, 2).
C’est de ce constat que Google avait été un des premiers grands acteurs sur le numérique à traiter ce sujet avec les services de surveillance de la grippe : Google Flu Trends et Google Dengue Trends. Lancé en 2008, ce service se basait sur l’analyse des requêtes saisies dans le moteur de recherche. Il a été arrêté en 2015 en raison d’un manque de fiabilité de l’algorithme mis en place qui surestimait les épidémies.
Prévenir les épidémies via l’intelligence artificielle…
Après l’échec de Google Flu Trends, des chercheurs du Boston Children’s Hospital ont décidé de déployer un nouveau service de surveillance basé sur l’intelligence artificielle : ARGONet. Développé avec Google, ce projet se base une nouvelle fois sur les recherches web pour jauger la propagation du virus de la grippe.
Les chercheurs ont pris en compte trois critères pour construire le modèle d’intelligence artificielle : le nombre de visites pour des syndromes grippaux divisé par le total du nombre de visites chez le médecin, les fréquences de recherche sur internet et le nombre de consultations pour symptômes grippaux inscrits dans les dossiers médicaux électroniques d’Athenahealth, utilisés par 100.000 prestataires aux Etats-Unis.
La force du nouvel algorithme de prédiction, basée sur du machine learning, tient à la diversité des sources de données utilisées et à son alimentation en continu minimisant les erreurs de prédictions.
Autre cas très récent est le déploiement d’une intelligence artificielle qui a su prédire l’épidémie du Coronavirus avant l’OMS en l’annonçant dès le 31 décembre dernier. La startup canadienne Bluedot, a réussi à prévenir la propagation du virus via sa plateforme de surveillance sanitaire basée sur l’intelligence artificielle qui analyse des milliards de données en temps réel. Elle avait même identifié que le virus se déploierait dans un second temps à Bangkok, Séoul, Taipei et Tokyo.
Les prédictions de Bluedot se basent sur des analyses machine learning à partir de différentes sources de données : actualités à travers le monde, recherches de symptômes sur les moteurs de recherches, forums de discussions et réseaux sociaux, rapports de maladies affectant la faune et la flore, données de compagnies aériennes, déclarations officielles…
Source: https://bluedot.global/
…ou les objets connectés
Autre technologie qui se démocratise de plus en plus, et qui connaîtra une forte croissance avec l’arrivée de la 5G : les objets connectés. Les données collectées servent au suivi individuel de sa santé mais peuvent désormais prévenir l’arrivée de certaines maladies.
Les chercheurs de l’U.S. Scripps Research Translational Institute ont démontré que les données collectées via les bracelets connectés pouvaient permettre de prédire à l’utilisateur s’il va avoir la grippe et aider les autorités à se préparer à une épidémie.
Cette étude a analysé plus de 13 millions de données issues de près de 47 000 utilisateurs de Fitbit aux Etats-Unis (rythme cardiaque et rythme du sommeil). La fréquence cardiaque élevée et les changements d’habitudes nocturnes ont permis de déterminer des comportements anormaux qui ont été comparés aux informations des bulletins hebdomadaires de l’évolution de l’épidémie des Centres du contrôle des maladies des USA (CDC).
Source : ©Fitbit
Dans les 5 Etats où cette étude a été menée, les prévisions de la grippe ont été améliorées et la surveillance en temps réel de l’épidémie plus fine. Selon l’auteur de cette étude, le Dr Jennifer Radin, du Scripps Research Translational Institute « une réponse plus rapide à l’explosion de grippe peut empêcher la propagation et les infections. Nous étions curieux de voir si les données des capteurs pouvaient améliorer la surveillance en temps réel au niveau de l’État. Nous avons démontré le potentiel des mesures des bracelets moniteurs d’activité pour améliorer la surveillance de la grippe et par conséquent améliorer les réponses de santé publique. À l’avenir, à mesure que ces dispositifs s’amélioreront et avec l’accès à des données en temps réel 24/7, il sera peut-être possible d’identifier les taux de malades de la grippe tous les jours au lieu de toutes les semaines » (3).
Les réseaux sociaux comme aide à la prédiction
Espace d’échange pour des milliards de personnes, les réseaux sociaux, via le contenu des messages et les différents fils de discussions permettent de détecter plus rapidement les épidémies, mais également leurs propagations.
De façon générale, les données décrivant le comportement humain à différentes échelles sont cruciales pour nourrir les modèles qui décrivent la propagation des maladies infectieuses. Les réseaux tels Facebook et Twitter fournissent de nombreuses informations sur l’état de santé de la société et sur la manière dont elle réagit face à une menace infectieuse. En compilant ces données, les chercheurs espèrent mettre au point de nouvelles stratégies de surveillance et de contrôle des épidémies.
L’utilité des réseaux sociaux pour suivre les épidémies a été démontrée avec plusieurs cas concrets. Des chercheurs de l’université Harvard ont ainsi montré que Twitter permettait de suivre la progression de l’épidémie de choléra de 2010 en Haïti. En 2014, une étude, menée par le CNRS, sur les publications Twitter a été menée lors de l’épidémie du virus Chikungunya en Martinique pour analyser le comportement de la population face au virus et sa propagation (3).
Les nouvelles technologies apportent de nouvelles solutions pour prévenir les épidémies avec un niveau de fiabilité de plus en plus grand. La vitesse d’analyse des données, que permet notamment le machine learning, fait gagner du temps dans l’identification des virus et de potentiels vaccins pour se protéger.
1. Ginsberg J, Mohebbi MH, Patel RS, Brammer L, Smolinski MS, Brilliant L. Detecting influenza epidemics using search engine query data. Nature. 2008 Nov 19.
2. Polgreen PM, Chen Y, Pennock DM, Nelson FD. Using internet searches for influenza surveillance. Clin Infect Dis. 2008 Dec 1;47(11):1443-8.
3. Votre Fitbit peut prédire si vous allez avoir la grippe – Esante.fr – 17.01.2020
4. An ecological and digital epidemiology analysis on the role of human behavior on the 2014 Chikungunya outbreak in Martinique – Benjamin Roche, Béatrice Gaillard, Lucas Léger, Renélise Pélagie-Moutenda, Thomas Sochacki, Bernard Cazelles, Martine Ledrans, Alain Blateau, Didier Fontenille, Manuel Etienne, Frédéric Simard, Marcel Salathé & André Yébakima
Rémy Teston
Expert
Buzz E-santé